DAKAR — Face à un fardeau de dette révisé à la hausse et à un financement externe plus cher, le Sénégal tente une manœuvre à deux branches : séduire sa diaspora pour mobiliser une épargne patriotique et rassurer ses bailleurs/investisseurs afin de sécuriser un nouveau programme avec le FMI et de rouvrir l’accès aux capitaux à des coûts soutenables. Ces efforts s’intensifient alors que le FMI a annoncé l’envoi imminent d’une mission pour négocier un nouvel accord après l’épisode de déclarations erronées de dette et de déficit en 2019-2023.
Que disent les chiffres ? Une photographie moins flatteuse, mais plus crédible
Depuis l’audit des engagements publics, la trajectoire d’endettement est apparue nettement plus lourde que celle communiquée auparavant : des estimations récentes évoquent un ratio dette/PIB au-delà de 110 %, avec un déficit élevé et des besoins de financement rogues. Les agences et les analystes ont réagi : abaissement de la note souveraine et prime de risque accrue, même si les autorités martèlent leur engagement en faveur de la transparence et d’un cadre budgétaire assaini.
La carte « diaspora » : épargne domestique, patriotisme et produits dédiés
Le gouvernement mise sur l’épargne des expatriés pour couvrir une partie des besoins : émissions obligataires « grand public » accessibles depuis l’étranger, tickets d’entrée bas (à partir de 10 000 F CFA), maturités étagées et coupons attractifs. Des campagnes en Europe ont été menées pour promouvoir ces « diaspora bonds » dans le cadre du plan de redressement, avec pour objectif de canaliser une fraction des transferts de fonds (plus de 2–3 Mds $ par an selon les sources) vers des instruments d’épargne sécurisés en monnaie locale. Reste la question centrale : aligner rendement, liquidité et confiance pour convaincre au-delà de l’appel patriotique.
Ce qui peut faire la différence : la qualité du produit (gouvernance, modalités de sortie, fiscalité claire), l’utilisation traçable des fonds (projets d’infrastructures/énergie identifiés) et des points d’accès digitaux simples, y compris depuis la zone UEMOA et l’Europe. Sans ces garde-fous, l’initiative risque d’être perçue comme un relais temporaire plutôt qu’un vrai pilier de financement.
Rassurer bailleurs et marchés : le triptyque FMI – consolidation – réouverture
Sur le versant « partenaires internationaux », le signal le plus observé reste la reconstitution d’un ancrage FMI. L’annonce d’une mission pour travailler à un nouveau programme intervient après près d’un an de gel des décaissements, consécutif à la révélation d’arriérés et d’écarts dans les statistiques. La séquence probable : un accord-cadre avec objectifs mesurables (déficit primaire, gouvernance de la dette, transparence des entreprises publiques), suivi d’un calendrier de réformes fiscales et d’un retour graduel vers les marchés (régional UEMOA et, plus prudemment, international).
Dans l’intervalle, Dakar a multiplié les émissions locales/régionales, avec un appétit investisseur encore présentmalgré les dégradations de notation — un signe que le marché croit à une normalisation sous supervision multilatérale, même si la prime de risque demeure élevée.
Les risques à court terme : liquidité, change et « fatigue » des investisseurs
Trois nœuds de risque dominent. D’abord, la liquidité : l’addition des tombées de dette et des besoins budgétaires peut engorger le marché si les fenêtres d’émission se referment. Ensuite, le risque de change : même en zone franc, tout recours externe en devises reste sensible aux spreads mondiaux. Enfin, la confiance : après l’épisode de sous-déclaration, bailleurs et marchés attendent des preuves régulières — tableaux de bord mensuels, lois de finances rectificatives crédibles, et un reporting de dette exhaustive (y compris engagements hors bilan et garanties). Ces éléments pèseront dans la prochaine décision du FMI et des agences.
Peut-on mobiliser la diaspora sans la braquer ? Le design compte plus que le slogan
Les transferts des migrants soutiennent déjà massivement les ménages sénégalais. Pour transformer une partie de ces flux en épargne longue au service du Trésor, le pays doit offrir : (i) des produits simples, mobiles by design, avec procédures KYC souveraines mais fluides ; (ii) une protection de l’épargnant (compte séquestre, communication des risques, audit indépendant) ; (iii) une traçabilité d’usage des fonds, projet par projet ; (iv) une incitation fiscale lisible dans les pays de résidence lorsque c’est possible. À défaut, l’épargne restera sur des canaux traditionnels (envois familiaux, immobilier) ou se placera ailleurs.
Ce que regarde la communauté internationale
Les partenaires scrutent trois marqueurs : le réalisme budgétaire 2026, la qualité des statistiques (fin de partie pour les « déclarations erronées ») et la capacité d’exécution (réforme des régies financières, contrôle de la dépense, gouvernance des entreprises publiques). À Washington, le FMI a salué des efforts de transparence et s’est dit prêt à accompagner la stabilisation, tout en réévaluant la soutenabilité de la dette. Autrement dit : porte entrouverte, mais conditionnée à des preuves.
En bref : la stratégie de sortie par l’ordre et la confiance
Le pari sénégalais repose sur un mix « recettes domestiques + épargne diaspora + ancrage FMI ». S’il est bien exécuté, il peut réduire le coût du financement et réparer la crédibilité endommagée par l’épisode de sous-déclaration. La clef sera moins la communication que la discipline : publier, auditer, corriger — puis répéter, jusqu’à ce que la confiance redevienne automatique. À ce prix-là, séduire la diaspora et rassurer les partenaires cessera d’être un slogan pour devenir un canal durable de financement de la croissance.